05-08-2025
La mission (presque) impossible du nouveau commissaire
L'itinérance n'a jamais été aussi visible dans les rues de la métropole : campements de fortune, ressources qui débordent, personnes en état de crise… La cohabitation avec la population logée est parfois difficile. Tout juste nommé au poste de commissaire aux personnes en situation d'itinérance à la Ville de Montréal, Julien David-Pelletier confie à notre chroniqueuse qu'il a bien l'intention de rétablir le dialogue social.
Il faut beaucoup aimer les défis pour accepter le poste de commissaire aux personnes en situation d'itinérance à la Ville de Montréal. Julien David-Pelletier en rêvait. « Quand j'en ai parlé à mon entourage, on me disait : ton nom est écrit sur cette job-là. »
J'avoue que j'ai été agréablement surprise quand j'ai appris sa nomination. J'ai rencontré Julien il y a 10 ans, dans le cadre d'un reportage sur les jeunes gens inspirants de moins de 30 ans. Son engagement m'avait impressionnée à l'époque.
À 27 ans, diplômé en droit, il avait déjà cofondé la clinique juridique Juripop avec des collègues. À l'époque, son cœur balançait entre le droit et le journalisme. Il a finalement goûté aux deux puisqu'il a aussi travaillé comme journaliste dans les bureaux de Radio-Canada, à Ottawa, durant trois ans. Son beat ? L'itinérance…
De retour au droit, il a siégé au conseil d'administration d'organismes qui œuvraient aussi dans le milieu de l'itinérance. Bref, c'est vrai que cet emploi de commissaire était taillé sur mesure pour lui.
PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE
Le nouveau commissaire aux personnes en situation d'itinérance à la Ville de Montréal, Julien David-Pelletier
Ce qui ne veut pas dire que ce sera facile. On a beau avoir des idéaux, la bureaucratie d'une grosse ville comme Montréal peut être très lente à faire bouger. Sa mère, l'ex-ministre Hélène David, l'a d'ailleurs averti : « Ne t'en fais pas si tout n'arrive pas tout de suite… » Elle parle d'expérience.
J'ai demandé à Julien David-Pelletier quelles étaient, selon lui, les qualités requises pour occuper son poste.
L'empathie. Savoir être capable de parler d'égal à égal avec des personnes qui sont nos concitoyens. Même si elles sont dans la rue, elles restent des personnes comme les autres. L'autre qualité, c'est la créativité.
Julien David-Pelletier, commissaire aux personnes en situation d'itinérance à la Ville de Montréal
Le nouveau commissaire rêve de mettre sur pied des projets qui vont améliorer la vie des personnes itinérantes. Et se dit agréablement surpris par ce qu'il entend dans les couloirs de l'hôtel de ville, des mots comme « agilité » et « innovation sociale ». « Ça m'inspire », ajoute-t-il, optimiste.
Julien David-Pelletier succède à Serge Lareault, le premier nommé à ce poste sous Denis Coderre. Il œuvrera au sein du Bureau des commissaires, une nouvelle structure qui regroupe aussi le commissaire au racisme et à la discrimination, ainsi que le commissaire aux affaires autochtones.
« Ça nous permet d'avoir une vision qui est transversale et moderne des enjeux sociaux sur le territoire de l'île de Montréal, souligne Julien David-Pelletier. Et comme le bureau relève de la direction générale de la Ville, ça me donne une influence durable sur les politiques et les opérations. On s'attend de moi que j'influence la Ville à l'interne, et que j'améliore les pratiques. »
Parmi ses objectifs : travailler sur la déjudiciarisation des personnes en situation d'itinérance et sur leur retour en société. En poste depuis la mi-juin, il a déjà entrepris une tournée sur le terrain : organismes communautaires, services municipaux, Société de transport de Montréal, etc.
« Il y a des centaines d'organismes à Montréal qui œuvrent en itinérance, dit-il. Je n'ai pas envie d'être celui qui va butiner de réunion en réunion. Je veux être au courant de tout, oui, mais pour pouvoir placer mes interventions de manière stratégique et précise afin qu'elles aient le plus grand impact possible. »
PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE
Le nouveau commissaire aux personnes en situation d'itinérance à la Ville de Montréal, Julien David-Pelletier
Une de ses premières lectures en arrivant en poste : le rapport de l'Office de consultation publique de Montréal (OCPM) sur l'itinérance. « Il y a une citation qui a capté mon attention dans ce rapport, mentionne-t-il, à propos des carences dans les questions de dialogue social. Je vais m'y intéresser de plus près. »
C'est vrai que chaque possible ouverture d'une ressource soulève les passions. Je pense entre autres à la Maison Benoît Labre1, mais ce n'est pas le seul cas où la Ville a dû gérer une crise.
Le nouveau commissaire affirme qu'au sein de la Ville, il y a une vigie constante pour chercher des sites où implanter de nouvelles ressources partout sur le territoire, avec un certain principe d'équité territoriale. On sait que l'itinérance, même si elle s'étend partout à Montréal, est surtout concentrée dans trois arrondissements centraux.
PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE
Campement de personnes sans-abri au centre-ville de Montréal
« On ne peut pas critiquer des citoyens confrontés à la vulnérabilité au quotidien de se sentir impuissants et craintifs. Il ne s'agit pas seulement du syndrome 'pas dans ma cour'. »
Le rapport de l'OCPM dit bien que la majorité des citoyens ont davantage un réflexe d'empathie. Ça n'empêche pas qu'ils se demandent si Montréal ne va pas devenir comme Vancouver…
Julien David-Pelletier, commissaire aux personnes en situation d'itinérance à la Ville de Montréal
« L'implantation de nouvelles ressources doit se faire dans le cadre d'un dialogue social plus grand, poursuit le nouveau commissaire, afin que les ressources soient vues comme quelque chose de positif, quelque chose qu'on veut par solidarité humaine. Ça passe par le dialogue et le respect des droits de tous. »
Julien David-Pelletier sera aux premières loges, quelque part à l'automne, quand les premiers locataires s'installeront (enfin !) dans les unités d'habitation modulaires transitoires érigées sur le site du futur quartier Namur-Hippodrome, ainsi que dans la rue Louvain Ouest, dans Ahuntsic.
« J'ai vu les effets positifs de ce type de projets à Gatineau et j'ai été vraiment impressionné, assure-t-il. C'est un bon exemple de ce que peut faire une ville, une solution pour sortir des personnes de la rue, à condition de leur offrir un soutien psychologique. Ça prend des solutions structurées. »
Julien David-Pelletier souhaite aussi en finir avec le mode « urgence » qui fait en sorte qu'on se réveille à la dernière minute à l'arrivée de la première neige pour ouvrir des haltes-chaleur en catastrophe. « Quand je suis arrivé, il y avait déjà un plan en cours pour faire en sorte que les mesures hivernales ne soient pas à la dernière minute cette année, assure-t-il. Ça fait partie de la nouvelle vision qu'on veut avoir d'être en mode planification plutôt qu'en mode gestion de crise. »
Plein d'espoir et gonflé à bloc, Julien David-Pelletier aimerait qu'un jour, les personnes itinérantes le reconnaissent dans la rue et viennent lui poser des questions ou lui faire part de leurs problèmes. Est-ce réaliste ? Je ne sais pas. Ce que je sais, c'est que les personnes en situation d'itinérance ont un formidable allié à l'hôtel de ville. Espérons que la machine municipale ne le brûle pas.
Qui est Julien David-Pelletier ? A cofondé en 2009 la clinique Juripop, un organisme qui a pour mission d'améliorer l'accès à la justice pour tous, dont les personnes les plus vulnérables ;
Membre du barreau depuis 2015, il a été conseiller pour l'accès à la justice au Barreau du Québec de 2017 à 2019 ;
Journaliste à Radio-Canada, dans la région d'Ottawa-Gatineau, de 2021 à 2024 ;
Nommé commissaire aux personnes en situation d'itinérance à la Ville de Montréal en juin 2025.
1. Lisez la chronique « L'élastique de la tolérance étiré au max »
Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue